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Comment la banque centrale suisse s’expose discrètement (et de plus en plus) au Bitcoin
information fournie par The Big Whale 14/11/2025 à 15:58

bitcoin 3 (Crédits: Unsplash - André François McKenzie)

bitcoin 3 (Crédits: Unsplash - André François McKenzie)

Officiellement non-détentrice de bitcoin s, la BNS s'expose de plus en plus via ses investissements dans les entreprises les plus liées au secteur. Strategy est devenue une participation significative ces derniers mois.

La Suisse aime la discrétion, surtout lorsqu'il s'agit de ses finances. Mais derrière le ton feutré et la neutralité affichée de la Banque nationale suisse (BNS), un mouvement audacieux semble se dessiner : celui d'une exposition, certes indirecte, mais bien réelle au Bitcoin.

Depuis plusieurs mois, un débat traverse la Confédération. Faut-il, oui ou non, que la BNS détienne du Bitcoin ? La question, longtemps cantonnée à la marge, a pris une tournure politique cette année avec le dépôt d'une initiative populaire visant à modifier la Constitution pour inciter la banque centrale à en conserver une partie dans ses réserves, au même titre que l'or.

À la tête de ce mouvement, Yves Bennaïm, défend une idée simple : “On ne leur dit pas quoi faire, on leur dit seulement : penchez-vous dessus.”

Mais pendant que le pays débat, la BNS agit discrètement.

Une exposition indirecte, mais assumée

Bien qu'elle ne soit pas un fonds souverain, la BNS, avec un bilan de 855 milliards de dollars, se hisse au niveau de certains des plus grands fonds d'État mondiaux, comme ceux de Singapour ou du Qatar. Elle ne cherche pas à jouer un rôle dans ces entreprises : c'est principalement un outil de gestion monétaire (aux côtés des réserves de change et des obligations souveraines).

Officiellement, la Banque nationale suisse n'a jamais acheté de bitcoins.

En revanche, ses données publiques auprès de la SEC racontent une autre histoire : celle d'une exposition croissante via Strategy (ex-MicroStrategy), la société américaine devenue le plus grand détenteur institutionnel de bitcoins au monde (641 205 BTC à ce jour, soit plus 66 milliards de dollars).

Si la BNS était une actionnaire anecdotique de Strategy depuis plusieurs années, celle-ci a brusquement augmenté son allocation entre juin et septembre 2024. Elle a ainsi multiplié par dix sa position dans Strategy, passant de 47 000 à 468 000 actions.

Un an plus tard, au 30 juin 2025, elle en détenait près de 750 000, valorisées à plus de 300 millions de dollars dans son dernier bilan (191 millions de dollars actuellement).

Certes, cela ne représente qu'une infime part de son portefeuille d'actions américaines, estimé à 154 milliards de dollars, mais le signal est clair : la BNS s'expose, même modestement, à l'actif numérique le plus scruté du monde.

Est-ce un choix conscient ?

“Strategy est l'entreprise la plus liée à Bitcoin dans le monde, augmenter aussi rapidement son portefeuille dans celle-ci n'est pas anodin”, indique une banquier suisse.

La BNS justifie ses placements par une stratégie “neutre et passive”, calquée sur la structure des grands indices boursiers américains, notamment le S&P 500 ou le Nasdaq 100. Or, Strategy n'est toujours pas intégrée dans le S&P 500 et n'a rejoint le Nasdaq 100 qu'en décembre 2024, soit plusieurs mois après les investissements de la BNS.

Pour Romain Braud, en charge des actifs numériques pour Arab Bank Switzerland, “son exposition significative dès septembre 2024 indique une allocation précoce, probablement liée à des décisions discrétionnaires de ses gestionnaires externes ou à une exposition indirecte via des fonds ou ETF”.

Parallèlement, la BNS a fortement réduit son exposition à Apple ces dernières années (70 millions d'actions au 2ème trimestre 2022, contre 45 millions en 2025). Dans le même temps, elle a multiplié par six sa participation dans Nvidia.

Sur Strategy, le facteur d'augmentation des actions détenues par la BNS est de 46 depuis le lancement de sa politique d'accumulation de bitcoins en août 2020.

“Quand on regarde dans le détail, certaines de ses positions dans les géants de la tech ont diminué, tandis que Strategy a explosé. Et ça, rien ne l'imposait mécaniquement si l'on se fie à la logique indicielle”, remarque Yves Bennaïm.

Selon une source interne interrogée par The Big Whale, “la BNS ne fait aucune déclaration sur les positions individuelles de son portefeuille”.

“Cette approche lui permet dans tous les cas, de bénéficier de la performance du Bitcoin sans en assumer les risques réglementaires, opérationnels ou même de controverse”, abonde Romain Braud.

La BNS utiliserait Strategy comme un proxy discret. Une manière d'obtenir une exposition au Bitcoin sans franchir la ligne symbolique d'un achat direct.

“C'est une façon d'amortir le choc politique”, rajoute une source bancaire genevoise. “Si elle annonçait demain qu'elle avait acheté du Bitcoin, cela ferait un bruit considérable. En investissant via une société cotée, elle s'assure une couverture crédible tout en testant le terrain.”

Un portefeuille Bitcoin qui ne s'arrête pas à Strategy

Strategy n'est pas le seul pari de la BNS lié à l'écosystème Bitcoin. Depuis fin 2024, elle détient aussi des actions de Trump Media & Technology Group, la société-mère du réseau social Truth Social… et désormais référencée parmi les “Bitcoin Treasury Companies” (15 000 BTC, soit 1,5 milliard de dollars).

Sous la présidence Trump, l'entreprise a annoncé vouloir constituer une réserve de bitcoins de plusieurs milliards de dollars, en parallèle à la création d'une réserve stratégique nationale aux États-Unis officialisée en mars 2025.

La position de BNS dans Trump Media est symbolique (moins de 10 millions de dollars), mais elle illustre une convergence troublante : la banque centrale d'un pays neutre comme la Suisse est indirectement exposée à deux des entités les plus emblématiques du tournant “bitcoinisé” de l'économie américaine.

Elle détient aussi plusieurs dizaines de millions de dollars d'actions des mineurs américains Riot Platforms, CleanSpark, Cipher Mining et Hut8.

Pour Yves Bennaïm, ce n'est pas un hasard : ”La BNS suit ce que font les grandes puissances. Quand les États-Unis et les BRICS+ décident de constituer une réserve stratégique en Bitcoin, la Suisse doit suivre le mouvement.”

“La Suisse n'aime pas faire de bruit, mais elle prépare ses arrières”, précise une source bancaire. “En renforçant sa position sur Strategy, la BNS envoie un signal : elle veut comprendre le phénomène et être prête à agir.”

Cette discrétion pourrait devenir une arme stratégique. Alors que les États-Unis institutionnalisent Bitcoin et que la Deutsche Bank estime dans un récent rapport qu'à l'horizon 2030, Bitcoin pourrait coexister avec l'or dans les bilans des banques centrales.

Pourquoi Bitcoin a du sens pour une banque centrale

Bitcoin partage plusieurs qualités recherchées dans les actifs de réserve : rareté, portabilité et indépendance. Contrairement à l'or, il est transférable instantanément, stockable sans coût logistique et incorruptible dans sa gouvernance.

“C'est l'actif le plus neutre au monde”, résume Yves Bennaïm. “Il n'appartient à aucun État, ne dépend d'aucune politique monétaire, et peut être mobilisé en cas de crise sans passer par le dollar.”

Dans un contexte de dé-dollarisation croissante, où la part du billet vert dans les réserves mondiales est passée de 60 % en 2000 à 43 % en 2024, Bitcoin apparaît comme un outil de diversification stratégique, au même titre que l'or il y a un siècle.

Mais pour la BNS, tout l'enjeu est d'avancer sans compromettre sa réputation de neutralité. “Il faut de la finesse, estime Romain Braud. Si la BNS bouge trop tôt, elle risque d'être accusée de spéculer. Si elle bouge trop tard, elle pourrait perdre une opportunité historique.”

Les États doivent franchir l'étape de la détention directe de bitcoins

Pour Yves Bennaïm, fondateur de l'initiative populaire visant à faire entrer Bitcoin dans les réserves de la banque centrale, il est important que la détention directe soit anticipée dans la perspective d'une exposition plus concrète.

“En achetant des actions Strategy elle détient environ 1 500 bitcoins de manière détournée, mais elle cumule tous les inconvénients : exposition au dollar, à la réglementation américaine, à la volatilité d'une entreprise privée, sans bénéficier des avantages du Bitcoin lui-même.”

Le paradoxe, souligne-t-il, est que la BNS prétend éviter toute influence politique ou médiatique en se cachant derrière les indices boursiers.

“Acheter du Strategy, c'est acheter une action Nasdaq, liquide, qui ne fait pas de vagues. Mais en réalité, cela la place sous le regard de la SEC. Elle doit remplir le formulaire 13F comme n'importe quel fonds américain. Pour une banque centrale qui se veut indépendante, c'est un aveu de dépendance”, avance-t-il.

Selon lui, les États doivent désormais “franchir l'étape de la détention directe” pour retrouver une véritable neutralité financière : “Acheter du Bitcoin directement, c'est reprendre le contrôle. C'est avoir un actif global, liquide 24 heures sur 24, indépendant de toute juridiction étrangère.”

Au-delà de la BNS, il voit dans cette évolution une tendance mondiale : “Le fait que la stabilité du franc suisse soit déjà, même marginalement, liée à Bitcoin, montre que la bascule a commencé. Les banques centrales finiront par admettre que Bitcoin n'est plus un pari spéculatif, mais un actif stratégique.”

Pour la Suisse, dit-il, l'enjeu dépasse la finance : “Il s'agit de cohérence et de souveraineté. Soit on continue à faire semblant de ne pas en avoir, soit on assume que Bitcoin peut renforcer notre indépendance et notre stabilité.”

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