Publié dans infodujour.com en page Lorraine!!!
-------
Skylander : après le crash, les questions
La Région Lorraine a englouti plus de 20 M dargent public et lEtat environ 80 M pour faire voler avion fantôme Le projet était bidon. Retour sur une belle entourloupe où lon voit un chef dentreprise duper des élus pour le moins naïfs.
Le président socialiste de la Région Lorraine, Jean-Pierre Masseret, son premier vice-président Jean-Yves Le Déaut ainsi que les élus de tous les partis politiques avaient pourtant été mis en garde par des experts du milieu aéronautique parmi lesquels Gérard Mény (1) qui a participé à laventure dès le début (voir notre autre article sur le sujet). Le projet de création dun avion tout-terrain bi-turbopropulseur de 19 places ou 2,7 tonnes de fret relevait de limposture. Un avion aux « performances farfelues », un marché mondial quasi-inexistant, des concurrents bien établis : le Skylander navait aucun avenir !
Et pourtant, lorsquil sest posé sur la base aérienne de Chambley (54) en septembre 2008, Serge Bitboul patron dune société dingénierie aéronautique de 50 ans a fait rêver la Lorraine. Bitboul sortait du chapeau de CEIS (Compagnie Européenne dIntelligence Stratégique ) dirigée par Olivier Darasson, un ami de Gérard Longuet. Lancien Président de la région Lorraine, ancien ministre de lindustrie et actuel Président du groupe UMP au sénat, a lui aussi été un ardent défenseur du dossier Skylander.
Les élus lorrains ont cru à ce projet industriel qui allait donner du travail à mille salariés et à de nombreux sous-traitants. Au passage, le Skylander allait aussi redorer limage de la région.
Des avances remboursables
Assuré dune confortable majorité à lassemblée régionale le président du Conseil régional, sest pris à croire à une filière aéronautique en Lorraine qui allait se remplacer la sidérurgie moribonde.
Charmé par le talent du prestidigitateur, Masseret a misé gros sur lindustriel qui navait pourtant jamais construit le plus petit coucou. La Région a voté le 7 mai 2010 une avance remboursable de 9,1 M à la société Sky Aircraft, filiale de GECI Aviation, elle-même filiale de GECI International (Groupement dEtudes et de Conseil en Ingénérie). Subjugué par le destin prometteur du Skylander, Jean-Pierre Masseret envisagera même de rentrer dans le capital social de la société à hauteur de 7 M, sous réserve dun avis favorable du Conseil dEtat
qui ne viendra pas.
La Région chouchoute lindustriel providentiel. Rien nest trop beau pour laccueillir. Des travaux titanesques sont entrepris sur la base de Chambley. Un restaurant gastronomique est créé de toute pièce.
Bitboul a-t-il besoin dargent pour payer ses salariés, ses consultants, ses commerciaux aux quatre coins de la planète ? Le 25 novembre 2011, lAssemblée régionale vote une nouvelle avance remboursable de 7 M. Puis encore une de 5 M le 27 janvier 2012. « Nous avons pris toutes les garanties » assure alors le président du Conseil régional.
LEtat soutient lui aussi ce projet en versant une prime de 2,5 M au titre de lAménagement du Territoire, une autre de 2,5 M au titre des Aides à finalité régionale (AFR) puis un crédit impôt-recherche (CIR) de 11 M. Oséo alloue également une avance remboursable de 7 M à Serge Bitboul. LEtat promet encore 60 M supplémentaires si le projet est adossé à un grand constructeur.
Où est allé largent ? Une petite partie dans les salaires puisquil a fallu payer les équipes chargées de concevoir lavion dans les bureaux de Chambley. Mais après le dépôt de bilan de la société Sky Aircraft, le 4 octobre 2012 puis sa mise en liquidation judiciaire le 13 avril 2013, on a constaté que le passif de lentreprise sélevait à 120 M dont 11 M de dettes fiscales. Les salariés furent aussi fâchés dapprendre que leur maison-mère, GECI, présentait chaque semestre à sa filiale lorraine, une facture de 4,3 M dont 1,2 M pour linformatique, 600.000 pour le marketing et 1,2 M pour « le pilotage ». Sans parler des primes que saccordait le patron de GECI : 100.000 euros supplémentaires pour lexercice 2010-2011. En plus de son salaire annuel de plus de 400.000 .
« Je ne sais pas où est allé largent mais je ne pressens rien de bon » soupire un actionnaire suisse floué par la déconfiture du Skylander qui préfère pour lheure rester anonyme. « Non seulement M. Bitboul a touché beaucoup dargent public mais il a aussi procédé à des levées de fonds en bourse.
Après une année de palabres, dinvestisseurs hypothétiques, le tribunal de Commerce de Briey a donc pris la décision de tout arrêter, le 13 avril dernier. « Depuis la mise en liquidation de Sky Aircraft nous navons plus de nouvelles de GECI. Le cours de laction est suspendu. Nous sommes une quinzaine dactionnaires suisses dupés avec un préjudice situé entre 700.000 et 1.000.000 deuros. Nous préparons une plainte pour es.croquerie et fausse information de nature à nuire aux actionnaires. Car M. Bitboul na cessé de nous mentir. »
Documents secrets ?
La Région Lorraine va-t-elle se faire rembourser les 21,1 M quelle a avancés ? Difficile à croire puisque les actifs de lentreprise liquidée se limitent à une maquette numérique déclarée inexploitable par Bitboul lui-même. Au reste, le PDG de GECI na pas lintention de rembourser puisque, dit-il à la presse locale, « les termes de laccord ne le prévoient nullement. »
Les termes de laccord ? « Nous ne les connaissons pas » reconnaît une élue dopposition qui, elle aussi préfère rester dans lombre. « Le président a refusé de nous les donner. Ce dossier est opaque comme bien des choses à la Région. »
Nous avons demandé à Jean-Pierre Masseret de nous fournir le ou les contrats qui lient la Région Lorraine aux sociétés de Serge Bitboul. Nous lui avons demandé de quelles garanties juridiques il sétait entouré pour accorder ces avances remboursables.
Nous ne sommes pas les seuls à attendre sa réponse.
Christophe Goetz, le président de lassociation de défense des contribuables lorrains (Adic-geci), vient de demander aux élus du Conseil Régional de Lorraine de sexpliquer (interview ci après). Sil nobtient pas de réponses à ses courriers, cet ingénieur lorrain, soutenu par plus dune centaine de contribuables scandalisé par cette gabegie, envisage de porter plainte pour faire la lumière sur la dilapidation de ces fonds publics. Ils souhaitent quun juge soit saisi.
« Les décideurs politiques ne pouvaient pas ne pas savoir que le Skylander était un projet voué à léchec. »
(1) Gérard Mény, ingénieur aéronautique : « Toutes mes tentatives pour alerter lensemble des partis politiques, lancien Ministre des Transports Thierry Mariani via la délégation UMP aux Transports Aériens, les Syndicats, Sénateurs, Médias ou Conseillers Régionaux nont jamais abouti. Le 30 septembre 2011, nous avons obtenu de haute lutte un rendez-vous avec le député de Pont-à-Mousson Jean-Yves Le Déaut alors premier Vice-président du CRL (
) Un dossier de 44 documents lui a été remis concernant les finances, la concurrence, la production, le marché et les études. Pour tout argument, le député nous a affirmé que Serge Bitboul a investi son argent dans le Skylander. Il serait bien quil le démontre. Démarche inutile qui na suscité aucune question de sa part. »
(2) Président de lassociation de défense des contribuables lorrains (Adic-geci) Christophe Goetz, scandalisé par la gabegie financière dans la gestion du Skylander, répond à nos questions
Christophe GOETZ est présent de l'association de défense des contribuables ADIC-GECI
Christophe GOETZ est président de lassociation de défense des contribuables ADIC-GECI
Vous avez créé une association de défense des intérêts des contribuables lorrains. Qui êtes-vous ?
Je suis un simple citoyen qui pense quil ne suffit pas de voter pour faire vivre la démocratie. Quand nos élus abusent de leurs prérogatives il faut savoir leur dire stop, rendez-nous des comptes maintenant! Quand les garde-fous républicains ne fonctionnent plus, quand les élus, tous bords confondus, se comportent comme une caste oligarchique dans laquelle chaque membre semble avoir un intérêt bien compris à ne pas agir contre les abus et écarts des autres, alors que reste-t-il de la démocratie? Jestime être témoin dun tel instant avec laffaire Skylander et, en citoyen responsable, je ne saurais rester silencieux. Je suis déterminé et persévérant. Je lai annoncé dès la création dADIC-GECI.
Quels buts poursuivez-vous ?
Les français ont droit à la vérité sur lutilisation de largent public. Les Lorrains doivent savoir en quoi le Skylander est un scandale politique et nous devons aider à faire naitre la vérité dans ce dossier miné par les mensonges. Sil y a un océan dincompétence de la part du Conseil Régional de Lorraine, les électeurs doivent en être informés pour pouvoir voter en connaissance de cause quand ils seront appelés à se prononcer. Si cela dépasse le cadre de lincompétence et bascule du mauvais compromis à la compromission, les responsables éventuels doivent être sanctionnés selon les termes de la loi. Certains élus mont confirmé quils navaient pas accès à la moindre information sérieuse dans ce dossier. Cest effarant.
Comment comptez-vous mener ce combat pour la vérité ?
ADIC.GECI entend agir pour que ce scandale ne soit pas étouffé.
Jaurais apprécié que les conseillers régionaux, tous contactés, aient le courage dimposer une enquête indépendante pour que toute la lumière soit faite. Il nen est rien. Dans de telles conditions, je ne vois pas comment ce dossier pourra être bouclé sans quun juge sen saisisse à un moment donné.
En tout état de cause, je suis choqué de constater que le Président du CRL nait pas eu le panache de tirer lui-même les conclusions de son échec avec la Liquidation Judiciaire de Sky Aircraft pour proposer sa démission. Pire, il vient dhériter dun poste de pouvoir et dinfluence en prenant, par dérogation taillée sur mesure, la Présidence de lIHEDN dans la quasi indifférence générale
Pourquoi attaquer les élus et non Geci ?
Je ne peux pas reprocher à Geci International davoir cherché à obtenir de largent public. Même si aujourdhui le CRL prétend, par la voix de son avocat, avoir été trompé, cest bien au CRL de rendre des comptes sur ce gâchis volontaire dargent public. Les décideurs politiques ne pouvaient pas ne pas savoir que le Skylander était un projet voué à léchec.
Quest-ce qui vous permet dêtre aussi affirmatif ?
Plusieurs choses :
1- Léchec du financement au Portugal qui a achoppé pour les mêmes raisons qui ont conduit à la liquidation judiciaire de Sky Aircraft en Lorraine. Un marché plus restreint que prétendu, des coûts de développement sous-estimés.
2- La condamnation de Geci Aviation par lautorité des Marchés Financiers.
3- Le fait que le SK100 qui avait été évalué en toute indépendance à 47ME valait en fait 0 puisquil a été abandonné et que celui qui lavait évalué en toute indépendance se retrouvait parachuté directeur du programme Skylander chez Geci Int. Doù une situation de conflit dintérêt potentiel.
Mais le plus important, cest que des ingénieurs qualifiés de laéronautique avaient averti le CRL de la «nocivité» de ce dossier, avertissements argumentés et étayés qui ont été ignorés. Pourquoi?
Des questions, pas de réponse
En effet. Cest pourquoi je pense quun juge devrait être saisi.
Marcel Gay