les rendements....
Dans une même compagnie, le rendement des contrats d'assurance vie varie parfois du simple au double. Contre toute équité.
Voici les recettes des assureurs pour réduire le taux... ou le doper!
Le 8 janvier est, pour les assureurs, une date aussi importante que celles des réunions de la Réserve fédérale américaine ou de la Banque centrale européenne pour les investisseurs boursiers! Car l'assurance vie, le placement financier préféré des Français, a son contrat de référence: le compte Afer. Depuis une quinzaine d'années, l'annonce en janvier de son taux de rendement donne le ton au marché. Rendez-vous est donc pris... Si la célèbre association ne fait plus la course en tête, les assureurs en font toujours leur point de repère en matière de rendement. Une fois encore, dans les jours suivants, on découvrira la litanie des taux et certains assureurs se calqueront sur celui de Afer
Ce petit manège le laisse à penser: les taux de l'assurance vie ne se constatent pas, comme par exemple pour la valeur liquidative d'une Sicav, ils se décrètent. Dans son rapport 2006, l'Autorité de contrôle des assurances et des mutuelles note d'ailleurs la difficulté pour « assurés et bénéficiaires...d'exercer un quelconque contrôle des montants que leur annoncent leurs assureurs ». Le déficit d'information sur le sujet vaudra sans doute, un beau jour, au législateur de s'y pencher.
Quand les meilleurs contrats en euros rapportent de 4,5 à 5 % net, et que les pires peinent autour de 3 %, cela ne s'explique pas forcément par la différence de qualité des gestionnaires. En particulier, lorsqu'on constate de tels écarts dans une même compagnie avec des contrats aux garanties et frais similaires... Un taux de rendement, c'est une question de gestion, mais aussi de frais et de choix stratégiques. L'afer fait encore figure de référence, attribuant un rendement relativement justifié et équitable à ses assurés. Tout comme les quelques vraies associations et certaines mutuelles.ll faut dire que ces intervenants ne cumulent pas des dizaines de contrats à leur tableau de chasse. Le gros du marché, en revanche, recourt à grande échelle à des recettes pour « fabriquer »les taux. Notamment pour mieux servir une politique commerciale. Exemple symptomatique : mieux rémunérer les contrats en cours de commercialisation ou destinés à la clientèle haut de gamme, et massacrer ceux fermés à la vente. Pour ce faire, les assureurs disposent de quatre leviers. Ou artifices. Impossible de crier au scandale : ces pratiques sont tout à fait légales. Difficile en revanche de les trouver morales, tant l'égalité entre assurés est bafouée... Explications.
PARTICIPATION AUX BÉNÉFICES Distribuée à la tête des clients
Le rendement d'une assurance vie est une addition: un taux garanti plus des bénéfices réalisés avec l'argent des assurés. Le taux minimal garanti est désormais souvent défini pour une année. Parfois élevé souvent modéré. Ce taux, l'épargnant est sûr de l'obtenir. Ce qu'il aura au-delà, en aucun cas. Il s'agit de « la participation aux bénéfices ». La PB, dans le jargon des pros.
Deux types de bénéfices doivent être distingués. D'un côté, les bénéfices techniques. Autrement dit, l'argent gagné ou perdu par l'assureur en confrontant les commissions encaissées et les frais engagés, mais aussi, entre autres, les rentes versées par rapport à celles provisionnées. De l'autre, les bénéfices financiers obtenus sur les investissements réalisés, après prise en compte des frais de transaction, de conservation... Que dit la loi? L'assureur doit redistribuer au minimum 90 % de ses bénéfices techniques et 85 % de ses profits financiers. PB rime aussi avec problème! D'abord, parce que les deux compartiments précédents ne sont pas étanches. Si un assureur affiche des déficits techniques, il les imputera sur les bénéfices financiers, les minorant au passage. Ensuite, parce que la distribution de cette participation est globale. Elle s'apprécie au niveau de la compagnie d'assurances, et non contrat par contrat. Cette liberté fait du taux de distribution indiqué dans les conditions générales du contrat un leurre. Il pourra être supérieur dans le contrat X par rapport au contrat Y de l'assureur sans garantie d'y obtenir une meilleure performance. Ou il pourra être de 100 % sans être plus épais qu'une feuille de cigarette
Seule exception: le fonds en euro cantonné, indiscutable gage de transparence pour l'assuré par opposition à l'actif général où l'épargne de tous les clients est mise dans un pot commun, quel que soit leur contrat . La participation aux bénéfices est alors directement issue du solde du compte de résultat financier et attribuée au contrat lié au fonds. Dans ce cas, l'assureur ne peut pas faire d'arbitrage
FRAIS DE GESTION Impossible de savoir combien les) assureurs
prennent réellement
Les frais de gestion appliqués à son contrat sont des éléments à la portée de tous, étant indiqués dans les documents contractuels. IIs viennent minorer le rendement brut du produit donnant ainsi son rendement net. Et ce chaque année. Les frais de gestion sont donc un critère clé pour anticiper la performance de son contrat sur la durée. Voilà pour la théorie. Maisi en pratique, les assureurs travaillent presque tous avec des actifs « généraux ». Tout l'argent des assurés, quel que soit le contrat souscrit, est alors mis en commun. En clair, l'actif a un rendement, pas le contrat Problème: quel est le rendement brut de l'actif en euros? Le client l'ignore! Et pour cause, la loi impose juste de lui donner le rendement moyen de contrats similaires. Risible, quand on sait que certains assureurs ont des dizaines de contrats en stock. Alors que donner le rendement brut permettrait de mettre à jour plus facilement les bidouillages liés à la répartition de la participation aux bénéfices et à l'application des frais de gestion . Par ailleurs, les assureurs s'étaient engagés à indiquer les rendements nets de tous leurs contrats et leurs encours. Ils y ont renoncé car les connaisseurs en profitent pour débusquer les contrats d'assurance vie dopés.
Impossible au final de savoir si les frais de gestion ont été pris, comment et pour combien. De toute façon, cela n'a aucune espèce d'importance: de bas frais de gestion ne sont pas synonymes d'un bon rendement. Sauf avec un actif en euros cantonné.
RÉSERVES DE L:ASSUREUR Officiellement destinées à lisser les rendements
Nom de code: PPE, ou provision pour participation aux excédents. Les assureurs y mettent une partie des bénéfices non distribués en fin d'année. La loi les y autorise, à charge pour eux de les rendre aux assurés dans les huit ans au plus. En clair, l'assureur choisit alors de ne pas redistribuer tout ce qui devrait revenir au minimum à ses assurés chaque année. Est-ce justifié? Les professionnels le claironnent, la PPE sert à lisser les rendements sur la durée, à savoir, obtenir des performances stables. Sur la moyenne des contrats, oui. Mais l'analyse ne résisterait pas à une lecture produit par produit.
Aujourd'hui, cette provision équivaut à 2 % de rendement en moyenne, avec de grands écarts toutefois. Pour les assureurs, elle sert surtout à disposer d'armes pour faire face à la concurrence. Voire à l'étouffer. En 2000, Swiss Life a réalisé une substantielle plus-value sur sa participation dans le CCF, alors racheté par HSBC. Mis en réserve, ces sommes ont ensuite servi à se démarquer de la concurrence pendant plusieurs années. Cette PPE est d'autant plus problématique que les assureurs n'ont, une fois de plus, aucune obligation de servir également tous leurs contrats. Si la PPE est liée à l'actif général en euros, elle peut être redistribuée librement. Gare au trompe-l'il, donc. Ce n'est pas parce que la PPE d'un assureur est élevée que l'avenir de tous ses produits sera radieux. Sauf, une fois de plus, si le fonds en euros repose sur un actif cantonné. Passons sur l'opacité de cette cagnotte pour pointer du doigt la nouvelle rupture d'égalité qu'elle crée entre épargnants. Les bénéfices réalisés avec l'épargne de certains une année T vont à d'autres une année Z...
PLUS-VALUES LATENTES Les concrétiser permet de doper les taux de rannée
Les plus-values latentes sont des bénéfices non réalisés à un instant T. Fin 2006, elles atteignaient 93,7 milliards d'euros, soit quelque 10 % de rendement potentiel! Elles sont le dernier levier pour fabriquer un taux, sauf si l'assureur a investi uniquement dans des obligations. Explication: les gains réalisés sur les emprunts sont obligatoirement affectés à une réserve de capitalisation, destinée à absorber les éventuelles moins-values obligataires ultérieures. En revanche, sur les actions et l'immobilier, les plus-values réalisées s'ajoutent aux bénéfices financiers.
Les compagnies ont donc le choix avec ces plus-values: soit elles les conservent latentes sans avoir à distribuer quoi que ce soit, soit elles les concrétisent pour doper leur taux ou leurs réserves. Difficile arbitrage, d'autant que prendre tous ses gains fait courir le risque à l'assureur d'être nu face à une chute des marchés, notamment actions. Et de devoir constituer des provisions, source de baisse future des rendements... Mais ne pas les réaliser revient à ne pas distribuer toute la richesse créée par l'épargne des assurés.
La question est aussi politique. Fauti-l sortir des taux « canons» au risque de réorienter l'épargne vers les fonds en euros, moins rentables pour les assureurs que les unités de comptes? La réalité du marché est là : plus que le constat de la qualité d'une gestion, les rendements sont devenus un élément marketing pour conquérir des épargnants. Un appât... .
Frédéric Giquel
MIEUX VIVRE VOTRE ARGENT / NUMÉRO 319 / JANVIER 2008