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A travers l'exemple de la Grèce, B. Conte analyse les impacts des "politiques dépensières et hors contrôles" - ce sont mes termes - sur la vie sociale, économique, ... des personnes.
Il n'y va met de mains mortes. Il parle de tiers-mondialisation de pays européens. La France bien sûr est concernée avec ses politiques depuis 40 ans de dépenses plus fortes que ses recettes. Notre fameux "modèle de société" comme disait J. Chirac et tous les autres!
Ci-après, l'analyse de B. Conte:
La Grèce préfigure la Tiers-Mondialisation de lEurope, par Bernard Conte
16 mars 2010La cure daustérité drastique à laquelle la Grèce est sommée de se soumettre trouve son modèle dans les politiques dajustement structurels qui ont été imposées par le FMI aux pays du sud après la crise de la dette déclenchée par la remontée des taux de la Fed en 1982, note léconomiste Bernard Conte. A lépoque, comme aujourdhui, la véritable difficulté consistait à faire accepter aux peuples de supporter le coût de la crise. Mais depuis lors, les politiques permettant de faire passer ces purges amères ont été peaufinées, prévient-il, rappelant que lOCDE a rédigé à toutes fins utiles un guide décrivant les stratégies à employer en de telles circonstances. On peut par exemple y lire que « si lon diminue les dépenses de fonctionnement, il faut veiller à ne pas diminuer la quantité de service, quitte à ce que la qualité baisse. On peut réduire, par exemple, les crédits de fonctionnement aux écoles ou aux universités, mais il serait dangereux de restreindre le nombre délèves ou détudiants. Les familles réagiront violemment à un refus dinscription de leurs enfants, mais non à une baisse graduelle de la qualité de lenseignement. » Cela ne vous évoque rien ?
Par Bernard Conte, Maître de conférences à luniversité de Bordeaux, 12 mars 2010
La Grèce est très endettée et la finance internationale attaque ce maillon faible de la zone euro pour tester la cohésion de lensemble, avant éventuellement de spéculer contre dautres pays pour générer dénormes profits.
La réaction à cette attaque devrait entraîner la mise « sous tutelle » de la Grèce par la Commission européenne, par ses partenaires au sein de la zone euro et/ou par un éventuel Fonds monétaire européen. A linstar des pays du Tiers-Monde à partir des années 1980, la Grèce va se voir imposer un programme dajustement économique et social drastique, traduisant sa Tiers-Mondialisation qui préfigure sans doute celle dautres pays européens.
La Grèce enregistre des déficits publics importants qui doivent être financés par lemprunt dont le cumul accroît le volume de la dette de lÉtat. Pour rétablir la confiance de ses bailleurs de fonds privés, le pays doit réduire son endettement. A défaut, la prime de « risque », réclamée par les bailleurs, qui sajoute au taux dintérêt « normal » pourrait conduire à un taux usuraire. Georges Papandréou na pas le choix, il doit impérativement sendetter moins, voire diminuer le volume de la dette grecque.
Lexemple du Tiers-Monde en 1982
La situation de la Grèce, liée au « surendettement », nest pas sans rappeler celle des pays du Tiers-Monde lors de la crise de la dette de 1982. En effet, pour pouvoir faire face à leurs obligations financières, les pays du Sud, en quasi cessation de paiements, ont été « aidés » par le FMI et par la Banque mondiale. Ces institutions ont accordé des prêts aux pays du Sud afin quils puissent rembourser leurs banques créancières. Lesdites banques ont ainsi pu transférer au FMI et à la Banque mondiale une bonne partie de leurs créances « pourries » (ou « actifs toxiques » en langage politiquement correct). En contrepartie, les pays « aidés » se sont vus imposer des programmes dajustement structurel, traduction du consensus de Washington [1] dinspiration néolibérale monétariste.
A travers lapplication de ses dix commandements, le consensus de Washington vise à permettre aux pays sous ajustement de recouvrer la capacité dassurer le service (principal + intérêts) de leur dette extérieure. Il faut, à nimporte quel prix, dégager des fonds pour payer les créanciers.
Réduire le déficit de lEtat
Cette démarche passe par la compression des dépenses et laugmentation des recettes de lÉtat.
Laction sur la dépense publique implique la réduction :
de la masse salariale de la fonction publique (baisse des effectifs et/ou du niveau des traitements)
des autres dépenses de fonctionnement (éducation, social...)
des subventions (services publics, associations...)
des investissements publics (infrastructures...)
Laugmentation des recettes réclame :
lalourdissement de la fiscalité
la privatisation de services publics rentables (eau, électricité...)
Plus généralement, la croissance est censée élargir les marges de manuvre par le développement de lactivité économique qui, mécaniquement, augmente les recettes de lEtat. La croissance peut être tirée par les exportations si la production nationale gagne en compétitivité externe, grâce à la dévaluation de la monnaie nationale, ou, si cette opération se révèle impossible, par la désinflation compétitive (comme pour le franc CFA avant la dévaluation de 1994 [2] ) qui consiste à obtenir un taux dinflation plus faible que celui des pays concurrents.
La philosophie des programmes dajustement est, in fine, dune part, de tenter daugmenter la production locale de surplus (par la croissance) et, dautre part, de réduire la consommation locale dudit surplus afin de lexporter. En aucun cas, il sagissait de se préoccuper du bien-être des populations.
Un bilan des ajustements dramatique
Malgré de nombreuses études financées par la Banque mondiale et le FMI, tendant à démontrer que lajustement générait de la croissance et, par effet de ruissellement, bénéficiait même aux pauvres. Les conséquences sociales négatives ont été rapidement mises à jour et dénoncées [3] . Ainsi, la pauvreté sest accrue et les classes moyennes préexistantes ont été paupérisées. Les populations du Sud ont subi les conséquences funestes de lajustement pour rembourser des dettes dont elles navaient que peu profité.
La Grèce « inaugure » les politiques dajustement en Europe
Jusquà présent, lajustement néolibéral imposé était réservé aux pays « non développés ». La Grèce inaugure le processus de Tiers-Mondialisation de lEurope en passant sous les fourches caudines de « lajustement ». A linstar des pays du Tiers-Monde, il sagit de dégager des marges de manuvre budgétaires pour rembourser la dette extérieure à travers la réduction du périmètre de lÉtat, la privatisation, la dérégulation, les coupes claires dans les budgets de santé, déducation...
La Grèce est un test pour lEurope néolibérale
Linconnue reste la réaction populaire. La population va-t-elle accepter laustérité ? Déjà, des grèves et des manifestations se déroulent. Hier, le 11 mars, plus de 100 000 personnes manifestaient dans les rues dAthènes. Au Portugal et en Espagne, la mobilisation sociale sopère. Lajustement va-t-il buter sur lobstacle social ? Dautant plus que les conséquences des troubles sociaux pourraient atteindre le domaine politique avec lémergence et léventuelle arrivée au pouvoir de forces politiques situées en-dehors du « consensus » : droite « molle » - gauche « caviar ». Mais, là aussi, les élites complices peuvent trouver linspiration dans lexpérience du Tiers-Monde pour faire « passer » les réformes.
La faisabilité politique de lajustement
Dans les années 1990, de nombreux travaux ont été menés, au sein de lOCDE, sur la faisabilité politique de lajustement néolibéral [4]. Christian Morrisson prévient : « lapplication de programmes dajustement dans des dizaines de pays pendant les années 1980 a montré que lon avait négligé la dimension politique de lajustement. Sous la pression de grèves, de manifestations, voire démeutes, plusieurs gouvernements ont été obligés dinterrompre ou damputer sévèrement leurs programmes » (p. 6). Il convient de minimiser les risques et adopter une stratégie politique adéquate.
Prendre des mesures politiquement et socialement peu risquées
A partir de plusieurs études-pays, Christian Morrisson met en avant « lintérêt politique de certaines mesures [...] : une politique monétaire restrictive, des coupures brutales de linvestissement public ou une réduction des dépenses de fonctionnement ne font prendre aucun risque à un gouvernement. Cela ne signifie pas que ces mesures nont pas des conséquences économiques ou sociales négatives : la chute des investissements publics ralentit la croissance pour les années à venir et met sur-le-champ des milliers douvriers du bâtiment au chômage, sans allocation. Mais nous raisonnons ici en fonction dun seul critère : minimiser les risques de troubles » (p. 16). Peu importe, « dans la réalité, les entreprises du bâtiment souffrent beaucoup de telles coupures [dans les investissements publics] qui multiplient les faillites et les licenciements. Mais ce secteur, composé surtout de petites et moyennes entreprises, na quasiment aucun poids politique » (p.17). « La réduction des salaires et de lemploi dans ladministration et dans les entreprises parapubliques figure, habituellement, parmi les principales mesures des programmes [dajustement] » (p. 29).
Selon Christian Morrisson, cette mesure est « moins dangereuse politiquement » que dautres « et elle touche les classes moyennes plutôt que les pauvres » (p. 29). En cas de troubles (grèves...), « le gouvernement a toutefois les moyens de faire appel au pragmatisme des fonctionnaires. Il peut, par exemple, expliquer que, le FMI imposant une baisse de 20 pour cent de la masse salariale, le seul choix possible est de licencier ou de réduire les salaires et quil préfère la seconde solution dans lintérêt de tous. Les expériences de plusieurs gouvernements africains montrent que ce discours peut être entendu » (p. 29). Ce qui est vrai en Afrique lest certainement sous dautres cieux.
Agir sur la qualité des services publics
« Si lon diminue les dépenses de fonctionnement, il faut veiller à ne pas diminuer la quantité de service, quitte à ce que la qualité baisse. On peut réduire, par exemple, les crédits de fonctionnement aux écoles ou aux universités, mais il serait dangereux de restreindre le nombre délèves ou détudiants. Les familles réagiront violemment à un refus dinscription de leurs enfants, mais non à une baisse graduelle de la qualité de lenseignement et lécole peut progressivement et ponctuellement obtenir une contribution des familles, ou supprimer telle activité. Cela se fait au coup par coup, dans une école mais non dans létablissement voisin, de telle sorte que lon évite un mécontentement général de la population » (p. 30). Sans commentaire !
Diviser et opposer pour imposer
« Un gouvernement peut difficilement [ajuster] contre la volonté de lopinion publique dans son ensemble. Il doit se ménager le soutien dune partie de lopinion, au besoin en pénalisant davantage certains groupes. En ce sens, un programme qui toucherait de façon égale tous les groupes (cest-à-dire qui serait neutre du point de vue social) serait plus difficile à appliquer quun programme discriminatoire, faisant supporter lajustement à certains groupes et épargnant les autres pour quils soutiennent le gouvernement. » (p. 17). Comme « la plupart des réformes frappent certains groupes tout en bénéficiant à dautres, [...] un gouvernement peut toujours sappuyer sur la coalition des groupes gagnants contre les perdants » (p. 18). Il faut donc diviser et opposer pour imposer.
Un régime « dictatorial » serait idéal pour imposer les réformes
« Une comparaison pour les pays dAmérique latine entre des régimes démocratiques comme la Colombie, lÉquateur, le Pérou, et des régimes militaires, comme lArgentine et le Chili, en 1981-82, montre que les troubles sont plus rares lorsque le régime est militaire [...] La comparaison entre les deux expériences de lArgentine sous un régime militaire (en 1981) et en démocratie (1987) est parlante : le niveau de protestation a été trois fois plus élevé en 1987 et il y a eu beaucoup plus de manifestations » (p. 12). Ainsi, un régime dur serait idéal pour imposer les réformes. Le néolibéralisme serait-il entrain de déraper ?
Au total, la Grèce préfigure bien la Tiers-Mondialisation de lEurope .