26 septembre 2017 âą12:20
Marketing. Le bruit court dans les salles de marchĂ©s. Les gĂ©ants du Net veulent aujourdâhui sâemparer du chiffre dâaffaires de la distribution classique et en mĂȘme temps rĂ©gler leurs problĂšmes de logistique. Leur guerre dans le monde numĂ©rique se dĂ©place vers les Ă©tals.
Imagine-t-on aller acheter son litre de lait ou son kilo de tomates dans un magasin Amazon ou Google ? Cette question nâest pas si provocatrice quâil y paraĂźt, car, depuis la rentrĂ©e, une rumeur enfle dans les salles de marchĂ©s : celle dâune OPA dâAmazon sur Carrefour. « Une telle opĂ©ration aurait un sens, explique Xavier dâOrnellas, gĂ©rant associĂ© chez Amplegest. Souvenez-vous quâAmazon a commencĂ© par tuer les librairies aux Ătats-Unis avant dâen ouvrir lui-mĂȘme. » Fin mai, le gĂ©ant du Net a inaugurĂ© sa premiĂšre boutique Ă New York pour « valoriser les choix prĂ©fĂ©rĂ©s de ses clients tout en redonnant au lecteur le plaisir de feuilleter un livre ». Et lâexpert de prĂ©ciser sa pensĂ©e : « Les grands distributeurs ont dĂ©truit le petit commerce en France. Maintenant, câest Amazon qui va les tuer. »
Les analystes ont fait leurs calculs. Carrefour nâest pas cher : il pĂšse 13 milliards dâeuros en Bourse contre 394 milliards pour Amazon, soit trente fois plus pour des chiffres dâaffaires relativement similaires, de lâordre de 100 milliards. AprĂšs lâannonce de rĂ©sultats semestriels dĂ©cevants, le français se paie 15 fois son bĂ©nĂ©fice net par action contre 260 fois pour lâamĂ©ricain. « Câest la deuxiĂšme plus mauvaise performance du Cac 40 depuis le dĂ©but de lâannĂ©e. Ă 17 euros, câest cadeau ! », confie un gestionnaire, qui estime que le travail dâAlexandre Bompard, le nouveau prĂ©sident-directeur gĂ©nĂ©ral, de passer les comptes Ă la paille de fer, devrait porter ses fruits.
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Les analystes de Kepler Cheuvreux rappellent dans une longue note consacrĂ©e Ă Carrefour quâAmazon a dĂ©jĂ passĂ© un accord avec lâenseigne Dia en Espagne et avec Morrisons au Royaume-Uni. Captures dâĂ©cran Ă lâappui, ils dĂ©montrent que ces accords ont permis Ă Amazon dâoffrir des prix plus bas et donc de contrĂŽler les prix finaux aux consommateurs. Ils estiment toutefois quâun partenariat entre le distributeur français et Google, plutĂŽt quâAmazon, serait une « option crĂ©dible ».
Si Google et Amazon sâintĂ©ressent Ă la distribution classique, câest que, contrairement Ă une croyance qui voudrait que tout soit achetĂ© sur Internet, le retail reprĂ©sente encore 90 % des ventes dans le monde et ce pourcentage dĂ©passe 95 % dans lâalimentaire. Lâimportance de ce chiffre dâaffaires potentiel ne pouvait donc laisser insensibles les dĂ©sormais trĂšs rentables gĂ©ants du Net. Forts de capitalisations de plusieurs centaines de milliards de dollars, ils ont largement les moyens de racheter (presque) cash les sociĂ©tĂ©s de distribution classiques, qui sont fragilisĂ©es par leurs faibles marges en raison de lâimportance des frais immobiliers et des charges salariales. En lâespace de trois mois, deux opĂ©rations initiĂ©es par Amazon et Google ont Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©es aux Ătats-Unis : ces deux groupes ne sont plus uniquement des gĂ©ants du high-tech, ils viennent de faire une irruption parmi les gĂ©ants de la distribution multicanal, avec un immense pouvoir de nĂ©gociation face aux fournisseurs.
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Mi-juin, le spĂ©cialiste de la vente en ligne Amazon a fondu sur Whole Foods Market, un groupe de distribution de produits alimentaires biologiques crĂ©Ă©, en 1980, par John Mackey ; il compte 460 magasins en AmĂ©rique du Nord et au Royaume-Uni. Pour sâemparer de ce groupe en mauvaise santĂ© financiĂšre et malmenĂ© par deux fonds activistes, Jana Partners et Neuberger Berman, le patron dâAmazon, Jeff Bezos, a dĂ©cidĂ© dâoffrir aux actionnaires de Whole Foods Market 42 dollars par action, soit une prime de 27 % par rapport Ă son dernier cours cotĂ©. Cela reprĂ©sente un montant de 13,7 milliards de dollars (11,4 milliards dâeuros).
Cette opĂ©ration est la plus importante acquisition de lâhistoire dâAmazon, qui Ă©tait prĂ©sent jusquâalors dans de nombreux secteurs, mais pas lâalimentaire : historiquement le livre, en 1995, puis il a diversifiĂ© progressivement son offre en se lançant dans lâinformatique, les vĂȘtements, lâĂ©lectromĂ©nager. Pour financer cet achat, malgrĂ© sa trĂ©sorerie de 22 milliards de dollars, Amazon a prĂ©fĂ©rĂ© profiter des taux bas; il a annoncĂ© une Ă©mission obligataire de 16 milliards de dollars avec des Ă©chĂ©ances allant jusquâĂ quarante ans. Le jeu en valait la chandelle, Amazon est passĂ© de la dixiĂšme place dans le classement des distributeurs mondiaux Ă la deuxiĂšme ; certes, loin derriĂšre Walmart, mais il a laissĂ© sur place lâallemand Schwarz (Lidl), le français Carrefour et le britannique Tesco. Cette opĂ©ration permet Ă©galement Ă Amazon de rĂ©soudre un problĂšme de logistique â elle lui coĂ»te 10 milliards de dollars par an â en offrant ses produits au plus prĂšs de ses clients finaux grĂące aux entrepĂŽts de Whole Foods Market.
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Certains spĂ©cialistes estiment que câest une premiĂšre Ă©tape, qui permettra au groupe amĂ©ricain dâapprendre Ă gĂ©rer un magasin âen durâ, mĂȘme sâil en possĂšde quelques dizaines en AmĂ©rique du Nord. Dâautres sont en revanche plus inquiets pour le devenir de la chaĂźne et du secteur en gĂ©nĂ©ral : en dĂ©cembre, Amazon a en effet prĂ©sentĂ© un magasin test Ă Seattle, Amazon Go, au concept trĂšs simple : âpas de file dâattente, pas de caisse, prenez juste vos produits et partezâ. Ce concept store est truffĂ© de camĂ©ras qui suivent le consommateur, enregistrent ce quâil prend, ce quâil remet dans les rayons, ce qui permet de le facturer directement sur son compte Amazon. Il pourrait donc dupliquer le concept dâAmazon Go chez Whole Foods MarketâŠ
Preuve de la crainte quâinspire Amazon, Walmart (4 700 magasins aux Ătats-Unis) et Google ont annoncĂ©, fin aoĂ»t, un partenariat pour tenter de contrer celui qui pĂšse actuellement plus de 40 % des ventes en ligne aux Ătats-Unis. DĂšs la fin de ce mois, le premier groupe mondial de distribution (486 milliards de dollars de chiffre dâaffaires) proposera des centaines de milliers de produits sur Google Express, le systĂšme de livraison maison de Google lancĂ© en 2013. Cela ira « de la lessive aux Lego », explique Sridhar Ramaswamy, responsable de la publicitĂ© et de lâactivitĂ© commerciale chez Google.
« Nous voulons rendre les courses plus rapides et plus simples », explique Marc Lore, patron des activitĂ©s de commerce en ligne chez Walmart, qui voit dans ce partenariat un moyen expĂ©ditif dâaugmenter sa visibilitĂ© sur Internet Ă peu de frais. Ce nâest sans doute pas par hasard si cette annonce a Ă©tĂ© faite quelques jours avant celle du lancement de lâassistant personnel Google Home (dont une des publicitĂ©s explique justement comment faire ses courses en disant juste : âOK Google, je voudrais acheterâŠâ), qui vient concurrencer⊠lâEcho dâAmazon.
La guerre entre les deux gĂ©ants de lâInternet, qui Ă©tait jusquâalors cantonnĂ©e dans le monde numĂ©rique, nâa pas tardĂ© Ă se dĂ©clarer dans le monde rĂ©el, dans les rayons des supermarchĂ©s. Jeff Bezos a en effet dĂ©cidĂ© tout de suite de frapper trĂšs fort en ordonnant une rĂ©duction des prix des produits de Whole Foods Market. « Nous sommes dĂ©terminĂ©s Ă rendre abordable lâalimentation saine et bio. Tout le monde devrait ĂȘtre en mesure de consommer les produits Whole Foods et nous baisserons les prix sans remettre en cause notre engagement historique pour les produits de qualitĂ© », explique Jeff Wilke, patron de la division commerciale dâAmazon, qui compte permettre aux clients de Whole Foods de profiter du systĂšme de livraison Amazon Prime.
Certains fruits (bananes, avocats) et poissons (saumon) ont vu leur prix immĂ©diatement chuter dâenviron 30 %. La frĂ©quentation a aussitĂŽt augmentĂ© de 25 %. Avec Whole Foods Market, le site de vente en ligne ne fait finalement rien dâautre quâappliquer sa propre stratĂ©gie : vendre certains de ses produits Ă marge quasi nulle pour augmenter le nombre de ses clients et ainsi les fidĂ©liser. Il ne serait pas non plus Ă©tonnant que les supermarchĂ©s Whole Foods Market disposent, Ă moyen terme, dâun corner oĂč les clients pourraient rĂ©cupĂ©rer leurs achats effectuĂ©s sur Amazon.
Baisser les prix est Ă©galement un moyen pour Amazon de se dĂ©barrasser de quelques-uns de ses concurrents, comme il lâa dâailleurs dĂ©jĂ fait. Câest ce qui sâest passĂ© avec le site de vente en ligne de couches pour bĂ©bĂ© Diapers.com, Ă la fin de la dĂ©cennie 2000. Faute de pouvoir lâacquĂ©rir, Jeff Bezos sâest lancĂ© dans une guerre des prix en diminuant de 30 % des produits de puĂ©riculture dont les couches. Cela a finalement contraint Diapers Ă accepter lâoffre de 540 millions de dollars dâAmazon, malgrĂ© une surenchĂšre de 600 millions de Walmart. Tout est une question de prixâŠ