par Steve Scherer A BORD DE L'AQUARIUS, en Méditerranée, 23 juin (Reuters) - A nne-Marie Loof a consacré sa vie au travail humanitaire mais dit comprendre pourquoi elle et ses collègues qui secourent les migrants en Méditerranée sont aujourd'hui décriés par une partie de la population italienne. "Ils se sentent submergés", dit cette membre de Médecins sans Frontières (MSF) dans la clinique installée sur l'Aquarius, l'un des navires affrétés par les ONG pour venir en aide aux personnes en perdition au large de la Libye. "Ils ont besoin d'un bouc émissaire et nous sommes une cible facile", dit-elle. Près de quatre ans après le début de la crise migratoire qui a vu arriver en Italie, par bateau depuis les côtes d'Afrique du Nord, un demi-million de migrants et réfugiés et coûté la vie en Méditerranée à 13.000 autres, certains partis politiques et médias transalpins se sont trouvé un fautif: les humanitaires. Ces derniers sont accusés de servir de taxis aux migrants et d'aider les passeurs en prenant en charge les migrants à la limite des eaux libyennes pour les convoyer jusqu'en Sicile. La controverse a commencé en février dernier, quant le procureur de Catane, en Sicile, Carmelo Zuccaro, a ouvert une enquête sur d'éventuelles complicités entre ONG et passeurs. Deux mois plus tard, il est allé plus loin en suggérant que "certaines ONG pourraient être financées par les trafiquants". Des propos repris en boucle par le Mouvement Cinq-Etoiles (M5S) et la Ligue du Nord. Le Parlement a lancé sa propre enquête. "POURQUOI FONT-ILS CE VOYAGE HORRIBLE ?" Les ONG rejettent ces accusations mais ne s'étonnent pas qu'elles recueillent autant de succès dans l'opinion. "Les gens aiment les réponses simples. Il est simple de dire: 'Ce sont les ONG qui amènent les migrants ici.' Fin de l'histoire", déclare Marcella Kraay, coordinatrice de projet pour MSF à bord de l'Aquarius, qui est exploité en commun avec l'ONG SOS Méditerranée. "Mais la situation est bien plus complexe. Pourquoi font-ils ce voyage horrible? Il y a de nombreux problèmes, graves et complexes. On ferait mieux de chercher à les régler plutôt que de se tromper de cible", ajoute-t-elle. MSF, SOS Méditerranée et les autres ONG impliquées dans les sauvetages au large de la Libye rappellent que l'essentiel de leur argent provient de dons privés et se disent prêtes à présenter leurs comptes au parquet de Catane, assurant n'avoir rien à cacher. Mais l'opinion italienne est majoritairement soupçonneuse à leur encontre aujourd'hui. Un sondage effectué deux mois après les accusations de Zuccaro montre que seulement un tiers des Italiens font confiance aux organisations caritatives, tandis que la moitié s'en méfient. Une autre enquête de l'institut SWG montre que le nombre de personnes considérant que les migrants constituent un problème excède le nombre de celles qui pensent qu'ils sont victimes d'une crise humanitaire, alors que le rapport était inverse il y a un an. "La migration ne s'arrête pas et échappe à tout contrôle, ce qui pèse beaucoup sur l'opinion publique. Ce sera une question décisive lors des élections de l'an prochain", prédit Maurizio Pessato, le président de SWG. La plupart des migrants secourus par les ONG sont conduits jusqu'en Italie, car la Libye n'est pas considérée comme un pays sûr. Près de 200.000 demandeurs d'asile sont hébergés dans des foyers financés par l'Etat italien. LES "IDENTITAIRES" S'INTERPOSENT Lorsque l'Aquarius a appareillé de Catane le 13 mai dernier pour se rendre au large des côtes libyennes, un petit bateau à moteur a tenté de s'interposer, financé par des "identitaires" souhaitant protéger l'Europe d'une "invasion". Ceux-ci disent avoir récolté 70.000 euros pour affréter un navire et l'envoyer en Méditerranée. "L'objectif est de ramener les migrants en Libye et de ne pas les conduire en Italie. C'est un bateau ONG à l'envers", explique l'un des organisateurs, Lorenzo Fiato. En février dernier, l'Italie et l'UE ont signé un protocole d'accord avec le gouvernement libyen de Fayez Seraj, reconnu par les Nations unies, dans lequel il est promis des millions d'euros à Tripoli pour équiper et former des équipes contre les passeurs et renforcer les moyens des garde-côtes. Mais les effets se font attendre et les passeurs transportent les migrants à un rythme record. Cette année, 71.000 migrants sont déjà arrivés en Italie, soit une hausse de 26% par rapport à la même période de 2016. Deux mille sont morts noyés. Les ONG expliquent que leur rôle s'est accru en raison du désengagement des marines italienne et européenne. Alors qu'elles n'effectuaient en 2014 que 1% des sauvetages, elles en opèrent aujourd'hui plus du tiers, selon la garde-côtes italienne qui coordonne de Rome toutes les opérations. Les navires de l'opération Frontex de contrôle des frontières et de la mission Sophia de lutte contre les passeurs se tiennent à distance des côtes libyennes, disant vouloir éviter d'encourager les trafiquants. Les ONG expliquent que cette stratégie les contraint à se rapprocher des côtes libyennes, faute de quoi les migrants envoyés sur de précaires embarcations par leurs passeurs seraient condamnés à mourir. "L'an dernier, en un seul jour, 10.000 personnes ont quitté la Libye et pris la mer", déclare Nick Romaniuk, membre de l'équipe de secouristes de l'Aquarius. "Cela veut dire que si nous partons et qu'il n'y a plus personne pour les sauver, 10.000 personnes pourraient mourir en une journée. C'est un risque que nous ne pouvons pas prendre." (Jean-Stéphane Brosse pour le service français)
REPORTAGE-Les ONG, "bouc émissaire" dans la crise des migrants en Italie
information fournie par Reuters 23/06/2017 à 11:43
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